11
UNE FLAMME BLEUE
De toute une existence passée à abattre des tours, à invoquer des démons et à détourner le cours des fleuves, quel est le plus terrifiant de tout pour un sorcier ? La flamme bleue, mon ami ! Si tu la vois, tu auras contemplé le plus intimidant des spectacles pour un enchanteur – et le plus merveilleux.
Aumshar Urtrar, maître mage
Dits à un apprenti l’été
Année de la Lune en pleurs
Une fois de plus, les griffes du destin menaçaient de se refermer sur les Lames vaillantes. Après avoir essayé neuf autres balcons pour toujours retomber sur la même salle lugubre, ils durent se rendre à l’évidence : les intrus n’échappaient pas au tombeau d’Ondil.
— La magie, toujours la magie ! éructa Dlartanan. Pourquoi les dieux ne sourient-ils pas aux guerriers et aux plans simples !
— Tout doux, Dlar ! coupa Asglyn. Comme tu le sais, Tempus place l’art de l’escrime au-dessus de tout. Prétendre en savoir plus qu’un dieu est suicidaire !
— Tout à fait, renchérit le prêtre de Tyche. Ma Dame aime ceux qui, loin de geindre, font feu de tout bois, et ne se laissent jamais décourager.
— Fort bien, maugréa Dlartanan. Pour être agréables à vos chères divinités, je ferais aussi bien de passer… et de tomber le premier ! Voilà qui rendra heureux Tempus et Tyche !
Joignant le geste à la parole, il s’aventura dans la salle. Haussant les épaules, ses compagnons le suivirent.
À l’autre bout, le guerrier voulut crocheter la serrure d’une des deux portes. Il y eut un craquement sinistre ; des flammes bleutées jaillirent…
La chose carbonisée qui avait été Dlartanan de Belanchor s’écroula. Son crâne roula et s’immobilisa face aux vivants ; il y avait comme un reproche dans son sourire macabre…
— Que Tyche veille sur son âme…, souffla un des prêtres d’une voix mal assurée.
Avec un cliquetis rappelant un sanglot, l’épée du guerrier, à demi calcinée, retomba à terre et se brisa.
Elmara blêmit. La main que posa Ithym sur son épaule pour tenter de la réconforter tremblait autant qu’elle.
— Si nous essayions l’autre porte ? proposa Gralkyn.
— Avec l’aide de Tempus, j’ai peut-être ce qu’il faut, dit Asglyn.
Après une courte prière, il incanta.
La porte vibra sur ses gonds. Le mur se fissura. Courant à toute allure, la lézarde rejoignit la base du sarcophage… Sous les regards interloqués de ses compagnons, Asglyn s’enflamma et mourut en hurlant d’épouvante.
Dans le silence qui suivit, Tarthe souffla :
— Filons d’ici !
Tharp était le plus près de l’issue menant au balcon ; il courut… et se figea, pris de convulsions.
Ses compagnons le virent imploser.
Un atroce amas sanguinolent demeura sous l’armure et le heaume.
Les cinq survivants se regardèrent, épouvantés. Plus livide l’un que l’autre, Tarthe et Elmara se prirent par la main.
— Depuis sa tombe, Ondil nous élimine les uns après les autres, murmura Othbar, la Main de Tyche. Si nous ne trouvons pas vite une solution, nous rejoindrons les légions des damnés : celles des morts-vivants.
— Que faire ? gémit Tarthe, les traits déformés par la peur. Elmara et toi vous y connaissez plus que nous tous en magie !
— Si nous creusions ? suggéra Elmara sans grande conviction. Les portes et les fenêtres sont sûrement toutes piégées. Mais s’il a négligé les dalles, Ondil devra revenir d’entre les morts pour nous régler notre compte !
— Et ensuite ? couina Gralkyn.
— Nous jetterons nos dernières forces dans la bataille ! cria Tarthe.
— Laisse-moi d’abord lancer un sort, dit Othbar d’une voix mal assurée. Si ça marche, Ondil sera captif de sa crypte au moins un temps… qu’il faudra mettre à profit très vite.
— Et ensuite ? répéta Ithym, lugubre. Devrons-nous vivre la peur au ventre jusqu’à notre dernier souffle, avec des monstres aux trousses ?
— Nous n’en sommes pas encore là, rappela Tarthe. Si nous ne fuyons pas d’ici, nous n’aurons plus jamais de problèmes à régler ! Préparez-vous. Othbar, donne-nous le signal dès que tu seras prêt.
Le prêtre pria sa déesse de se rappeler les longues et fidèles années qu’il lui avait consacrées. Puis, s’entaillant une paume au moyen de sa lame, il incanta.
Et il s’écroula, mort.
De son cadavre s’éleva un ectoplasme qui prit l’aspect du défunt. Pointant un filament sur les quatre Lames restants, il attira ensuite leur attention sur les fenêtres. Puis l’ombre glissa vers le sarcophage et tint le couvercle fermé grâce à sa force surnaturelle.
Les deux aventuriers déroulèrent chacun la corde dont ils se ceignaient toujours la taille, les lièrent ensemble, et approchèrent avec circonspection des fenêtres. Gralkyn tira les rideaux de la première sans brusquerie. Rien ne se passa. Tout avait l’air normal. Si ce n’est qu’il n’y avait aucun système d’ouverture… Les carreaux étaient encastrés dans les jointures.
— Brise-les, suggéra Ithym.
S’en remettant à la grâce des dieux, Gralkyn obtempéra, utilisant la garde de son épée.
Une spirale de lumière apparut, grandit…
— En arrière ! cria Elmara.
Après les avoir plaqués contre les murs et leur avoir brisé tous les os, telles des poupées de chiffons, une force inouïe aspira les deux hommes à l’extérieur.
Ithym poussa un hurlement rauque… avant de s’écraser sur les rochers.
Tarthe se tourna vers la magicienne.
— Il ne reste plus que toi et moi… Le livre que tu serres contre toi ne contient-il rien de nature à nous tirer de ce traquenard ?
— Ondil l’a scellé ! Je me refuse à risquer de l’ouvrir tant que nous sommes sur son territoire, et tant que le sacrifice d’Othbar nous fait gagner encore un peu de temps.
— Combien nous reste-t-il ?
— Si je le savais, je m’appellerais Ondil !
— Ne plaisante pas ! Comment savoir si, victime d’un sort, tu n’es pas devenue la chose de l’archimage à notre insu ?
— C’est un souci légitime, en effet.
Tarthe poussa un lourd soupir.
— Que faire ?
— Ondil est trop puissant. Pour détruire son œuvre et nous en affranchir, nous devons l’éliminer lui. Et je dois te préparer à l’affrontement.
— Oh ?
Sur la défensive, il leva son épée quand elle fit mine d’approcher.
— Tarthe, je peux encore voler ; à supposer qu’on abatte cette tour, il faut que tu en sois capable aussi pour t’en sortir indemne.
— Très bien. Lance ton sort.
A peine finissait-elle qu’un éclat l’auréola. Pivotant, elle vit se volatiliser le spectre d’Othbar.
— Ondil revient à la charge, chuchota-t-elle, lançant un nouveau sortilège.
Dans le sarcophage, dont le couvercle avait disparu en même temps que l’ectoplasme, reposaient un cercueil d’aspect ordinaire et trois livres.
— Ne les touche pas, Tarthe, si tu ne veux pas embrasser une liche ! le prévint-elle.
Arme au poing, le guerrier recula.
— Je n’y tiens pas plus que ça… Et toi ?
— Je fais ce que je dois. Advienne que pourra. Recule à l’autre bout de la salle et plus un geste !
Déterminée, elle posa une main sur un des grimoires. Le couvercle du cercueil s’évanouit à son tour. Une créature en surgit et agrippa la jeune femme de ses mains glacées.
Loin de chercher à se dégager, El sourit à la face d’Ondil et prononça le dernier mot de son sortilège. La liche ne tint plus que du vide entre ses griffes…
… Un instant avant que le plafond s’écroule sur le cercueil.
El s’était réfugiée près du dernier survivant. Ebahi, Tarthe vit les poutres et les pierres effondrées se remettre en place de leur propre chef. Pour la première fois, il osa espérer.
Plus rien ne sortit du cercueil ensorcelé. Circonspecte, Elmara y jeta un coup d’œil : au fond gisaient les os du défunt et les trois grimoires. Elle les prit, les jeta par terre et les piétina rageusement.
A la vue de l’étrange danse guerrière, Tarthe partit d’un grand éclat de rire. Puis El fit disparaître les grimoires. L’hilarité de son compagnon cessa d’un coup.
Pivotant, la magicienne vit un homme sortir de l’ombre… du heaume de feu Tharp.
Ce visage ! Comment Elmara aurait-elle pu oublier le seigneur mage qui avait détruit Heldon et tué ses parents !
— Eh oui, Elmara…, ricana l’apparition. Ou devrais-je dire Elminster Aumar, prince d’Athalantar ? Dès le début, Tharp était mon espion parmi les Lames.
La dague que lança Tarthe le traversa de part en part, pour s’écraser contre un mur.
L’instant suivant, Tarthe Maermir, chef des Lames vaillantes, s’enflamma comme une torche ; plaqué contre une paroi, il s’écroula, le cou brisé.
Elmara articula un mot.
Le seigneur mage se volatilisa.
Pour réapparaître, plus près d’elle. El incanta frénétiquement.
— Merci d’avoir détruit Ondil, ce qui augmente ma puissance, ironisa son ennemi. Me voilà ton obligé ! Heureusement, le monde va être débarrassé de toi… sur-le-champ !
A un de ses doigts, un anneau brilla ; l’univers explosa dans un déluge de flammes.
Presque transformée en torche humaine, Elmara bascula par une fenêtre. Alors quelle criait de douleur, une partie de son esprit conserva son sang-froid ; le précieux grimoire glissé dans sa ceinture semblait ignifugé. Elmara aperçut les cadavres disloqués des voleurs et une bande de terre noircie – tout ce que le mage avait laissé de l’infortuné cadet des aventuriers, et des chevaux. A quelques pas du sol, Elmara s’immobilisa, léchée par les flammes.
Les larmes qu’elle versa étaient sans rapport avec ses brûlures.
La petite barque emportait un vieillard et une femme au nez aquilin.
— On se rend au temple, jeune dame ? (Un paquet serré contre sa poitrine, Elmara hocha la tête.) Faites attention. Peu de gens entreprennent la traversée ; plus rares encore sont ceux qui en reviennent. On retrouve régulièrement des tas d’os, ici et là, et de pauvres idiots, la bave aux lèvres, dont personne ne veut.
L’inconnue avait l’air indifférente. Elle haussa les épaules.
— Je n’ai pas le choix. Mais qui agit en toute liberté ?
Le rameur ne trouva rien à répondre à cette question. Dans les brumes se découpait la Danse de Mystra, l’île de la déesse.
Une fois à quai, l’homme indiqua à sa cliente où se situait le temple et promit de revenir la chercher. Hochant la tête, El lui paya son écot et s’éloigna dans le crépuscule.
Une fois qu’elle eut disparu, le passeur sourit de toutes ses dents… La chair de son visage coula comme de la cire, dévoilant des crocs.
— C’est fait, maître, souffla Garadic.
Il savait qu’Ilhundyl épiait la scène depuis son lointain château.
Le sifflement du vent dans les oreilles, Elmara plaça le grimoire d’Ondil sur l’autel de Mystra.
— Dame des Mystères, accepte mon offrande, je te prie.
A peine avait-elle prononcé ces mots qu’une main féminine désincarnée se matérialisa, saisit le tome et disparut avec lui dans un éclat aveuglant.
El fut désemparée. Que faire à présent ? Perdue dans ses pensées, elle aperçut quand même une intense lueur, derrière l’autel.
Elle émanait d’une grande silhouette, immobile dans l’air. Souriant, l’apparition lui fit signe de la suivre le long des collines, jusqu’à la mer, de l’autre côté de l’île. Puis la déesse marcha sur les flots, laissant dans son sillage une phosphorescence dorée.
El avança… et découvrit que ses bottes restaient sèches. En fait, elle marchait à son tour sur les flots ! Encouragée, elle courut vers le large pour tenter de rattraper la divinité.
Dans sa course, elle entendit une voix lui souffler à l’oreille :
— Tu m’as déçue.
L’apparition s’évanouit ; Elmara sombra dans les flots glacés et se débattit pour remonter à la surface. Elle était seule, la nuit, en pleine mer…
L’apparition se matérialisa devant l’archimage et lui tendit le précieux grimoire ; puis, gémissante, la créature retourna au néant.
Du haut d’une des collines de l’île, Ilhundyl regardait les ruines de l’authentique temple de Mystra… Bientôt, il serait le Magister incontesté de Faerûn.
Soudain, il sursauta : venue du temple détruit, une flamme bleue grandissait…
La gorge sèche, il vit apparaître devant lui une femme, deux fois plus grande que la normale, le regard direct.
Tenaillé par la peur, il marmonna un sort et se volatilisa.
A l’aube, Elmara revint à elle, ballottée par le ressac. Dans sa mésaventure, elle n’avait pas perdu l’épée du Lion. Tant bien que mal, elle se releva. A perte de vue s’étendait un paysage de rocailles, d’arbres tordus et de broussailles.
Son regard tomba sur une inscription, dans le sable : «Athalantar ».
Bombant le torse, elle marcha vers le soleil levant.
Dans son château, où les protections magiques luisaient jour et nuit, Ilhundyl s’installa pour lire. Une fois prises les précautions utiles, il ouvrit le grimoire d’Ondil, tourna la première page, et la suivante…
Et la suivante…
Le sourcil froncé, il contemplait des pages blanches. D’un mot, il tamisa les lumières de la pièce. Une des dalles coulissa, laissant filtrer un filament spectral, qui effleura le tome, l’enveloppa… et recula.
Visiblement déçu, il retourna sous terre.
Conclusion : il n’y avait aucun texte caché, aucun portail vers d’autres plans…
Le livre était vraiment vierge.
Une rage terrible s’empara du Mage Fou, qui courut dans une autre pièce, et se campa devant une grande boule de cristal.
— Je la détruirai ! fulmina-t-il. Noyée ou pas, je la ferai revenir pour lui broyer les os. Personne ne se joue d’Ilhundyl ! Personne !
D’un mot, il invoqua Garadic, avant de se concentrer pour faire apparaître Elmara dans la boule et lancer ses foudres contre elle.
Le visage qui prit forme dans les profondeurs du cristal le fit sursauter d’effroi.
— Salut, Ilhundyl. Je vois que tu as ajouté un nouvel ouvrage à ta bibliothèque…
— Les pages sont blanches, comme tu le sais ! cracha-t-il.
Le Magister sourit.
— Oui. Mais la jeune magicienne qui l’a remis à Mystra ignorait tout de son contenu. Elle a obéi à tes instructions. Une telle honnêteté et une telle confiance sont si rares de nos jours. Tu ne trouves pas ?
Le Mage Fou de Calishar lança un sort. A l’intérieur de la boule, le monde s’embrasa. Le Magister se contenta d’en sourire. Le sortilège fit éclater la boule.
— La colère, Ilhundyl, a entraîné plus d’un sorcier à sa perte, déclara le Magister.
Hurlant de rage, Ilhundyl récidiva.
Garadic n’eut même pas le temps de crier.
Ce soir-là, La Licorne, un relais routier, accueillit une voyageuse fourbue qui se rendait à Athalantar. Elle avait marché toute la journée.
Elle s’installa dans un coin et entreprit de se restaurer avec la bénédiction de l’hôtelier. Le vin était capiteux, les rôtis excellents et les chansons des ménestrels constituaient un plaisir pour l’oreille.
Sa chandelle mouchée, Elmara se détendit dans l’ombre, écoutant d’une oreille distraite la ballade du dragon et des belles guerrières. Entendre mentionner le roi Uthgrael attira son attention. L’éloge d’un grand- père qu’elle n’avait jamais connu lui fit monter les larmes aux yeux.
Soudain, le ménestrel s’étrangla. Elmara se leva discrètement et se tourna vers la salle principale : pris de convulsions, l’artiste avait posé les mains sur sa gorge, le souffle coupé. Près de lui, attablés devant des écuelles et des brocs vides, de riches clients ricanaient. Elmara remarqua les bâtons glissés à leurs ceintures, à côté des dagues.
Des sorciers.
— Que faites-vous ? s’insurgea un des marchands attablés près de là.
L’agresseur du ménestrel lança :
— A Athalantar, nul ne doit mentionner ce monarque défunt.
— Nous ne sommes pas à Athalantar ! protesta un homme.
— Nous sommes des seigneurs mages. Bientôt, ces terres nous appartiendront aussi. Quelqu’un aurait-il la folie de s’opposer à nous ?
— Oui, lança Elmara, sans sortir de l’ombre.
Elle libéra le malheureux ménestrel.
Ceux qu’elle venait de défier sondèrent la pénombre d’où était sortie la voix féminine. Son sort lancé, El continua :
— Ceux qui disposent de pouvoirs magiques ne devraient jamais en profiter pour écraser autrui. N’en convenez-vous pas ?
Les six hommes bondirent, bousculant chaises et tables. Sourire aux lèvres. Elmara les regarda s’évertuer en vain.
Rien ne se produisit.
Calme, elle annonça à la ronde :
— J’aimerais affronter ces marauds en duel pour leur infliger la leçon qu’ils méritent. Mais cette auberge n’y survivrait pas, je le crains. Alors je leur ai temporairement ôté leurs pouvoirs, afin qu’ils ne nuisent plus à personne…
Elle murmura un dernier mot.
A la place de ses six adversaires, autant de pierres apparurent… et disparurent. Ignorant les hoquets de frayeur des clients, elle s’adressa au ménestrel qu’elle avait sauvé :
— Dis-moi, te reste-t-il assez de souffle pour me chanter la fin de la ballade du roi Uthgrael ?
Incertain, il hocha la tête.
— Avec plaisir, dame… ?
— Elmara Aumar… descendante d’Elthryn de Heldon.
L’homme ouvrit des yeux ronds.
— Ce village a été détruit il y a neuf ans ! Mais… où avez-vous envoyé les pierres ?
— Près de la Danse de Mystra, non loin de l’île. Quand l’enchantement se dissipera, ces hommes recouvreront leur véritable apparence. J’espère pour eux que ce sont de bons nageurs avec beaucoup de souffle, car le temps qu’ils remontent à la surface…
A ces mots, le silence se fit dans l’auberge. L’artiste tenta de briser le malaise en reprenant la ballade du Cerf… Mais sa voix était cassée et il dut s’arrêter.
— Pouvez-vous patienter jusqu’à demain, ma dame ?
— Naturellement.
— Puis-je vous offrir à manger ? Un modeste témoignage de ma gratitude…
— D’accord, si vous me laissez acheter de quoi nous rincer le gosier !
Arrivé au troisième prince évincé de la course au pouvoir, Elmara s’enquit :
— Reste-t-il des prétendants en vie ?
Son nouvel ami haussa les épaules.
— Belaur, bien sûr ; il se tient pour un roi, désormais. Je n’ai pas entendu parler des autres. Les seigneurs mages en prennent à leur aise : ils gouvernent ouvertement. Notre seule distraction est de les regarder se chamailler. Mais comme tout homme qui a son franc-parler, j’évite Athalantar… Ainsi agit tout ménestrel dont les subtiles ballades ne sont pas au goût des sorciers et de leurs laquais.
Songeur, il vida sa chope. Elmara le laissa parler sans l’interrompre.
— Athalantar ne reçoit plus de mages étrangers non plus. Immanquablement, les seigneurs en place les considèrent comme des rivaux, et dès lors, la bataille est inéluctable.
— Tout magicien avisé évite d’aller traîner ses guêtres là-bas.
— Naturellement. Vous avez l’air bizarre, ma dame. Où irez-vous demain ?
Le sourire quelle lui adressa n’avait rien de joyeux.
— A Athalantar. Bien sûr.